Origine du mouvement Dôr Dé’oh
Les Dôrda´im ou Dôr Da´im (en hébreu : דרדעים), sont des adhérents du mouvement Dôr Dé´oh au sein du judaïsme orthodoxe. (דור דעה; en hébreu : « génération de la connaissance », une allusion aux Israélites qui ont été témoins de la Sortie d’Egypte.) Ce mouvement a pris son nom en 1912 au Yémen sous la direction du Rov Yiḥya` Qa`phiḥ ז״ל, bien que, en réalité, le mouvement ait existé bien avant que ce nom ait été inventé pour le désigner. Selon l’ethnographe et historien Shalômôh Dôv Goitein, auteur et historiographe, Ḥayyim Ḥavshoush avait été membre de ce mouvement avant qu’on lui ait donné le nom de Dôr Dé´oh, écrivant :
« …Lui (c’est-à-dire Ḥayyim Ḥavshoush) et ses amis, en partie sous l’influence européenne, mais principalement motivée par les développements parmi les Juifs yéménites eux-mêmes, forma un groupe qui s’opposa ardemment à toutes ces forces de mysticisme, de superstition et de fatalisme qui étaient alors si répandues dans le pays et s’efforça d’obtenir une connaissance exacte et une pensée indépendante, et l’application des deux dans la vie ».
Ce n’est que quelques années plus tard, lorsque le Rov Yiḥya` Qa`phiḥ est devenu le directeur de la nouvelle école juive de Sanaa construite par les Turcs ottomans et où il a voulu introduire un nouveau programme d’études dans l’école par lequel les garçons apprendraient également l’arithmétique et les rudiments des langues arabe et turque que le Rov Yiḥya` Yiṣḥoq Halléwi a donné au mouvement du Rov Yiḥya` Qa`phiḥ le nom de Darad´ah, un mot qui est un pluriel arabe cassé composé des mots hébreux Dôr Dé´oh, et qui signifie « Génération de la connaissance ».
Influence de Ribbénou et la Qabboloh
Depuis le Moyen-âge la communauté juive yéménite suivait les enseignements du Rambo »m (Ribbénou Môshah ban Maymôn, dit Maïmonide, que nous appelons simplement « Ribbénou ») sur pratiquement toutes les questions halakhiques, et leur Siddour était quasiment identique au texte de la prière se retrouvant dans le Séphar Ho`ahavoh du Mishnéh Ṭôroh de Ribbénou. La tradition yéménite est, de ce fait, complètement distincte des branches sépharades et ashkénazes du judaïsme.
Aux 16ème et 17ème siècles les enseignements de la Qabboloh, plus particulièrement sous la forme promue par Yiṣḥoq Louriyo` (le `ar »i) et son école, devinrent très populaires au Yémen comme dans d’autres pays. À la suite de cela, de nombreux individus et communautés à travers le monde (principalement les Mizroḥim et les Ḥasidhim) abandonnèrent les rites traditionnels en faveur du rite sépharade modifié et utilisé par Louriyo` et son cercle immédiat de Ṭalmidhim.
Cette division se refléta également au sein des Juifs yéménites. Le sous-groupe Sha`m adopta un rite influencé par le sépharadisme kabbalistique. D’autres conservèrent la liturgie yéménite ancestrale, qu’ils acceptaient ou non les enseignements kabbalistiques lurianiques. Au 18ème siècle, afin d’assurer la survie et continuité du texte yéménite originel, le Rov Yiḥya` Ṣa`laḥ ז״ל (surnommé le Mahari’’ṣ) fit la promotion d’un compromis et introduisit une nouvelle édition du Siddour yéménite qu’il créa. Il suivait dans le fond le rituel yéménite traditionnel (maïmonidien), mais faisait quelques concessions aux kabbalistes, comme par exemple en incluant le Piyout du Lakhoh Dhôdhi, la prière de `onno` Bakhôaḥ, etc. Cette nouvelle tendance fût appelée « Baladh » (qui signifie « du pays », c’est-à-dire du Yémen), par opposition au rituel sépharade lurianique qui fût appelé « Sha`m » (littéralement, « du nord », en référence à la Syrie, d’où venaient les Juifs qui introduisirent la Qabboloh au Yémen). La différence entre les Baladim et les Sha`mim affecta également les questions halakhiques, la communauté Baladi continuant à suivre Ribbénou de façon quasiment exclusive, tandis que la communauté Sha`mi accepta le Shoulḥon ´oroukh de Rov Yôséph Qa`rô ז״ל.
L’émergence des Dôrda’im
Les Dôrda´im émergèrent sur le devant de la scène à la fin du 19ème siècle. Le mouvement Dôr Dé´oh fût formé par des individus qui s’opposaient à l’influence de la Qabboloh qui avait été introduite au Yémen au 17ème siècle. Ils soutenaient que les croyances fondamentales du judaïsme étaient progressivement et rapidement piétinées et abandonnées en faveur du mysticisme de la Qabboloh. Scandalisés par la direction que prenaient l’éducation et le développement social du Yémen, ils ouvrirent leur propre réseau éducatif dans le pays. Ils étaient également mécontents de l’influence que les kabbalistes avaient sur diverses coutumes et rites, en plus de voir dans la Qabboloh une influence hautement superstitieuse contraire à la philosophie rationaliste de Ribbénou.
Les Dôrda´im considéraient les kabbalistes comme des êtres irrationnels qui contribuaient à un déclin dans le statut social et économique des Juifs yéménites. Tous ces problèmes amenèrent le Rov Yiḥya` Qa`phiḥ à établir le mouvement Dôr Dé´oh. Ses objectifs étaient :
- combattre l’influence du Zôhar et les développements successifs de la Qabboloh moderne, qui était alors trop intrusive dans la vie yéménite, et que les Dôrda´im considéraient irrationnelle et idolâtre ;
- restaurer une approche rationaliste du judaïsme enracinée dans les sources authentiques, parmi lesquelles le Ṭalmoudh, les écrits du Rov Sa´adhyoh Go`ôn ז״ל, et plus particulièrement ceux du Ribbénou ;
- préserver l’observance de la pratique traditionnelle et originelle du judaïsme tel qu’il fût enseigné et codifié par le Sanhédhrin jusqu’au 3ème siècle.
Depuis, la communauté juive yéménite peut être classée en trois catégories : Sha`mi, Baladi et Dôrda`y (ou « Rambamiste »). Et toute personne ou communauté adhérant aux principes énumérés plus haut et ci-dessous peut être considérée faire partie des Dôrda´im, même si elle n’est pas d’origine yéménite. Le terme fréquemment employé par les Dôrda´im pour désigner ceux qui acceptent le Zôhar est עִקְּשִׁים « ´iqshim » (c’est-à-dire, « obscurantistes »).
Les Communautés Yéménites
Une importante autorité yéménite ultérieure fut le petit-fils du Rov Yiḥya` Qa`phiḥ, le Rov Yôséph Qa`phiḥ ז״ל, qui a édité de nombreux ouvrages importants de Ribbénou et du Rov Sa´adhyoh Go`ôn. Contrairement à son grand-père, il a évité d’exprimer toute opinion sur le Zôhar, si ce n’est le fait de dire qu’il était préférable de tirer sa subsistance spirituelle des œuvres de Ribbénou. Il y a donc un doute quant à savoir si Rov Yôséph Qa`phiḥ doit être considéré comme un Dôrda`y ou comme un Baladi traditionnel. Son intention était probablement de réconcilier les deux groupes, de la même manière que le Mahari’’ṣ tentaient de réconcilier traditionalistes et kabbalistes.
Il n’y a pas d’organisation officielle Dôrda`y donc ils sont difficiles à identifier. De nombreuses personnes hésitent à s’identifier sous ce nom par crainte d’être persécutées. Certaines des synagogues originales de Dôrda´im en Israël ont survécu, mais se sont rapprochées de la tradition Baladi de la même manière que le Rov Yôséph Qa`phiḥ. De même, il n’y a pas de leader universellement reconnu pour le mouvement. Le successeur du Rov Yôséph Qa`phiḥ à la tête de la communauté yéménite dans son ensemble est généralement considéré comme le Rov Roṣôn ´arousi.
Les adhérents d’aujourd’hui ont un grand respect pour la tradition yéménite en général. Cependant, ils ne sont pas exclusivement d’origine yéménite et peuvent se décrire comme « Ṭalmidhé HoRambo’’m » (disciples du Rambo’’m) plutôt que comme « Dôrda´im ».